Quelle heureuse et significative coïncidence que le XIXe
Salon International du Livre d’Alger ait lieu à la veille du
soixantième anniversaire du déclenchement de notre guerre
de Libération nationale, le 1er novembre 1954.
En effet, si l’indépendance du pays était au centre du combat
du peuple algérien, en tant qu’objectif essentiel et suprême,
celui-ci était attaché aussi à des aspirations profondes liées
aux conditions de vie des Algériens dans un système colonial
d’oppression, d’inégalités et d’injustices. Au coeur de la
ségrégation coloniale, la question de l’accès au savoir était
d’une sensibilité extrême dans un pays qui avait vu ses
médersas détruites ou fermées et où l’école publique coloniale,
à l’opposé des « valeurs » qu’elle affichait, n’accueillait en
1954 qu’un peu plus de 10 % d’enfants algériens.
Ainsi, le Premier Novembre, qui tendait à la liberté de toute
une nation, comprenait aussi dans son élan la liberté d’accès
à l’éducation et au savoir.
En cette année 2014, il n’est pas alors anodin que ce grand
événement culturel national, le Salon International du
Livre d’Alger, qui accueille depuis plusieurs années plus
de un million de visiteurs, fasse ainsi jonction avec une
célébration aussi précieuse pour notre patrie, ce moment
si décisif dans son parcours historique millénaire.
Le Premier Novembre a apporté l’indépendance du pays
et a débouché sur une véritable révolution nationale qui a
ouvert les portes du savoir au peuple algérien. La scolarisation
massive, la création et le développement remarquable
de l’Université algérienne, l’alphabétisation généralisée
de la société ont donné au livre une place importante dans ce mouvement de réappropriation qui touche autant aux
sciences qu’aux expressions littéraires.
Ces quinze dernières années, sous la direction de Monsieur
le Président de la République, Abdelaziz Bouteflika, le pays
a fait de grands progrès. Des réalisations considérables ont
permis de développer spectaculairement les infrastructures
du pays, de l’équiper, de résorber le déficit en habitat,
de donner du travail notamment aux jeunes et de réduire
ainsi considérablement le chômage. La société s’est modernisée,
a connu des changements structurels, notamment
à travers l’émergence généralisée des femmes dans la vie
économique et sociale.
Ce sont autant d’avancées qui ont aussi une dimension
culturelle : les infrastructures routières, par exemple, rapprochent
les villes et régions, accélèrent non seulement les
échanges économiques et commerciaux mais aussi culturels ;
l’élévation du niveau de vie crée de nouvelles demandes et
exigences culturelles.
Dans le domaine directement culturel on peut noter aussi
d’importantes réalisations, notamment à travers un tissu
dense d’infrastructures culturelles réalisées (maisons de la
culture, théâtres, bibliothèques, musées, etc.) ou en cours de
réalisation. Il reste, comme insiste en cela le programme du
Président de la République, « à en tirer pleinement profit à
travers l’accès des citoyens aux activités culturelles ».
Plus de cinquante ans après, l’évolution de la société algérienne,
comme celle du monde, a généré de nouvelles situations
qui, au regard du livre, ont produit des effets et des enjeux
inédits. L’émergence et la diffusion planétaire des nouvelles technologies de communication n’en sont pas les moindres.
Des pratiques de lecture complètement différentes sont
apparues et se sont développées au point de devenir parfois
dominantes. Le livre, en tant qu’objet culturel, se découple
de plus en plus de la lecture qui bénéficie désormais de
supports technologiques divers : depuis les bibliothèques
numériques en ligne jusqu’aux tablettes électroniques de
lecture. Nous vivons ainsi une véritable révolution, aussi,
sinon plus importante par sa profondeur et son impact que
celle de l’invention de l’imprimerie.
Nous ambitionnons à devenir partenaires de cette révolution
mondiale. Nous voulons nous en donner les moyens afin
d’être au diapason des nations qui ont fait de la Culture
un instrument essentiel de leur développement en même
temps qu’une valeur sûre.
Dans le contexte historique de ce soixantième anniversaire
de la Révolution de Novembre, la tenue de ce XIXe Salon
International du Livre d’Alger offre une précieuse opportunité
de réactualiser le débat sur la place du livre dans notre
pays, sur les formes de son élaboration et de sa diffusion, en
somme sur son devenir, qui revêt une importance culturelle
stratégique.
La culture a un coût mais l’ignorance et l’intolérance en ont
un bien plus élevé. C’est pourquoi nous avons choisi d’agir
par la culture et, en l’occurrence, par le livre.
Cette réflexion sur la place irremplaçable et le rôle culturel
vital du livre, et son évolution moderne, nous entendons
l’engager et la mener, d’ici à la prochaine édition, avec
l’ensemble de la communauté du livre dans notre pays. Cela
concerne l’ensemble des professionnels de la chaîne du livre
(auteurs, éditeurs, distributeurs, libraires, bibliothécaires,
imprimeurs…) mais également les chercheurs concernés
(sociologues, psychologues, linguistes, pédagogues, historiens,
économistes, designers…).
Il s’agit en fait d’aboutir à une stratégie globale du livre et
de la lecture en Algérie, laquelle ne peut être envisagée
que dans une synergie intersectorielle. En effet, si le livre
concerne particulièrement la Culture, dont il est un support
primordial, il est également un support essentiel de
l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur, de la
Recherche scientifique, de la Formation professionnelle, etc.
Son impact réel est un indicateur précieux du degré de
développement des économies et des sociétés. C’est dire
combien son enjeu nous interpelle dans sa forme multidimensionnelle
:
[ une dimension éthique liée aux valeurs profondes de notre
identité culturelle, que sont l’Islam, l’Arabité et l’Amazighité,
dans leur apport et leur rapport à l’universalité,
[ une dimension esthétique qui s’arrime aux littératures
et aux arts,
[ une dimension pratique qui tient à la transmission et au
développement des savoirs et savoir-faire.
Enfin, la dimension historique à laquelle s’attache, de
manière essentielle, la mémoire séculaire de notre peuple,
de notre nation.
Et si nous avons choisi d’appeler ce XIXe SILA « Le livre et
nous », c’est pour bien traduire cet enjeu multidimensionnel.